Le sort de la charte éthique en Chine : les choses que l’on ne vous dit pas

Cet article a été publié pour la première fois dans le numéro 82 du Journal du Management Juridique et Réglementaire d’Entreprises du Village de la Justice, édition de Mai/Juin 2021, page 37, disponible sur ce lien en lecture ou en téléchargement : https://www.calameo.com/read/000000178e90cd7d42cab.

Le strict respect des obligations légales et règlementaires n’est plus suffisant aujourd’hui pour faire face aux enjeux sociétaux modernes, d’où la réaffirmation de la notion d’éthique, sans débattre de son origine. C’est ainsi que les groupes de sociétés, à leur échelle, mettent en place des chartes éthiques.

L’un des enjeux des groupes internationaux est alors d’implanter, par ce biais, des principes de gouvernance intragroupe cohérents au sein de leurs filiales, tout en respectant les spécificités locales.

Ceci est en particulier valable pour les groupes implantés en Chine, acteur majeur du commerce international où la stricte mise en place de standards étrangers est vouée à l’échec.

D’une part, les normes éthiques ne s’y appliqueront que dans le cadre d’un fondement juridique existant, associé au formalisme du règlement intérieur d’entreprise (1). D’autre part, la notion étant relativement nouvelle en Chine, il faudra s’assurer que l’esprit et le contenu de la charte soient assimilés par les parties prenantes, dont l’adhésion emportera la mise en œuvre (2).

1. Applicabilité des normes éthiques en entreprise en Chine : le rôle du règlement intérieur

Toute incitation ou obligation imposée en Chine doit impérativement avoir un fondement juridique. En ce qui concerne les salariés d’une entreprise, deux documents correspondent à cet impératif : le contrat de travail et le règlement intérieur de l’entreprise.

Le contrat de travail contenant les clauses spécifiques relatives à l’emploi du salarié, c’est le règlement intérieur vers lequel il convient de se tourner.
En effet, ce dernier a la capacité et la vocation de contenir des clauses plus larges, applicables à l’ensemble des salariés et plus généralement à l’entreprise, ce qui correspond bien à l’esprit d’une charte éthique.

En conséquence, pour être applicable, la charte doit faire partie intégrante du règlement intérieur, lequel obéit à un formalisme strict. Sa mise en place et toute modification doivent faire l’objet de consultation du personnel et de prise en compte de leurs éventuels questions et commentaires, enregistrements à l’appui, charge à l’entreprise de statuer in fine après leur prise en considération.

2. Adhésion à la charte éthique dans la filiale chinoise : compatibilité et adaptation

Il est toujours tentant pour les groupes étrangers de faire un simple copier-coller de leur charte Groupe, pour s’assurer de la cohérence des normes en vigueur. En Chine cependant, les choses sont différentes.

Tout d’abord, le concept d’éthique étant relativement récent, il ne sera pas compris des salariés de l’entreprise sans explicitation complète et précise. Certains concepts étrangers d’ailleurs n’existent tout simplement pas en Chine ou bien y sont interdits.

Il faudra donc s’assurer de la compatibilité du contenu de la charte étrangère au droit local. Au cas où certains concepts, sans être incompatibles, n’existeraient pas dans le droit chinois, il conviendra de les définir précisément et de les encadrer strictement afin d’en faciliter l’applicabilité. Citons par exemple le cas du conflit d’intérêt, notion quasi-inexistante en Chine, qu’il va donc falloir définir concrètement pour s’assurer de sa compréhension et du respect des normes y relatives.

C’est d’ailleurs de manière générale le rôle attribué au règlement intérieur, dans lequel il convient de définir précisément toutes les terminologies employées pour en encadrer l’application, éviter les ambigüités et protéger l’entreprise. Un travail non négligeable d’analyse en amont des concepts contenus dans la charte Groupe et leur compatibilité avec le droit local est donc un passage obligatoire.

Puis, la relative modernité des concepts d’éthique en Chine implique aussi au-delà d’explicitations bien précises, une traduction juste et complète, en chinois, afin que les salariés de l’entreprise comprennent pleinement les tenants et aboutissants des engagements de l’entreprise à cet égard, ainsi que leur propre implication, sans laquelle l’applicabilité de ces normes serait sans effet.

Par ailleurs, peu importe la langue de référence choisie (lorsque cela est possible), le juge chinois sera toujours enclin à lire et en conséquence interpréter la version chinoise d’un document en cas de litige. Là encore, une traduction précise par un professionnel compétent devient essentielle à la bonne compréhension et mise en œuvre de ces normes.

Pour résumer, les groupes étrangers implantés en Chine doivent faire face à un défi de taille dans l’implantation de leur charte éthique au sein de leur filiale locale. L’analyse préalable de la charte Groupe pour en assurer la comptabilité avec le droit chinois, ainsi que son intégration dans un règlement intérieur d’entreprise complet et traduit, seront les gages de son succès.

Citons aussi les cas médiatiques récents de boycott de multinationales du prêt-à-porter en Chine, (H&M etc.), dû à l’arrêt de l’utilisation de matériel en provenance de région chinoise sur la base de principes éthiques internationaux. L’éthique devient alors un enjeu à part entière, voire une source de conflit selon le contexte politique dans lequel elle est appliquée. Le concept est dans tous les cas à manier avec précaution et en toute connaissance de cause, pouvant avoir des conséquences financières considérables.

Maitre Nicolas COSTER

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